La personnalité d’un psychopathe

Caractéristiques d’un psychopathe

Introduction

La psychopathie est généralement considérée comme un trouble neurodéveloppemental de la personnalité, fortement marqué par un détachement émotionnel, des comportements antisociaux associés à une absence de culpabilité et une propension à l’impulsivité.

Elle est parfois opposée à la sociopathie et souvent confondue avec les outils qui la mesurent, comme si l’utilité prédictive pouvait remplacer la validité d’un construit clinique. Par ailleurs, les traits de personnalité que l’on retrouve dans la psychopathie sont distribués au sein de la population générale.

Il est donc difficile d’établir une limite objective entre le normal et le pathologique. Certains de ces traits, comme l’immunité au stress et la témérité, peuvent même s’avérer avantageux s’ils sont combinés avec une bonne intelligence et des capacités exécutives normales.

En Amérique du Nord, un peu moins de 2 % de la population générale répond aux critères de la psychopathie en contexte médico-légal. Le nombre de psychopathes en prison est beaucoup plus élevé que dans la société, car ils ont tendance à avoir des démêlés avec la justice.

Ils sont également plus susceptibles d’obtenir une libération anticipée en usant de ruse et de manipulation. Une fois libérés, les psychopathes ont plus de chances de récidiver. En effet, moins d’un an après leur sortie de prison, les délinquants ayant des scores de psychopathie élevés sont quatre fois plus susceptibles de commettre un crime violent que ceux ayant des scores faibles. On estime ainsi que 15 à 30 % des détenus masculins dans les prisons nord-américaines répondent aux critères diagnostiques de psychopathie.

Cet article débute par un rappel des difficultés de classification de la psychopathie, puis présente les principaux symptômes et les modèles étiologiques qui tentent de l’expliquer.

Une revue sélective de la littérature se concentre ensuite sur les travaux récents utilisant l’imagerie par résonance magnétique (IRM) anatomique et fonctionnelle chez des populations carcérales, principalement aux États-Unis, afin d’examiner les bases neurobiologiques de ce désordre particulier.

Une section est ensuite consacrée aux troubles de l’empathie caractéristiques de la psychopathie. Enfin, la conclusion présente des pistes de recherche neurodéveloppementale et appelle à une approche multi-niveaux, du moléculaire aux comportements, pour mieux comprendre ce trouble psychopathologique.

Classification de la psychopathie

Dans son ouvrage La manie sans délire, Philippe Pinel (1745–1826) fut le premier psychiatre à décrire un groupe de patients qui n’ont pas de problèmes intellectuels majeurs, ni hallucinations ni délires, mais qui présentent un déficit marqué par des conduites antisociales, une irresponsabilité et une absence de scrupules moraux. Puis, Julius Koch (1841–1908) introduisit le terme de psychopathe (initialement psychopastiche) en 1841, en insistant sur la nécessité de considérer les différentes facettes de l’histoire de l’individu pour comprendre globalement comment les symptômes se manifestent. Plus près de nous, Hervey Cleckley (1903–1984) a révolutionné la recherche dans ce domaine en publiant The Mask of Sanity en 1941. Dans ce livre, qui reflète près de cinquante ans d’expérience clinique, Cleckley propose une constellation de 16 symptômes sous-jacents qui restent présents dans les modèles théoriques contemporains.

Une évolution méthodologique importante depuis Cleckley a été l’élaboration de l’échelle de psychopathie (PCL-R) par le psychologue canadien Robert Hare, à partir de ses travaux auprès de délinquants adultes incarcérés. Selon Hare, la psychopathie se caractérise par deux facteurs principaux : le facteur 1, qui regroupe les composantes affectives, interpersonnelles et narcissiques, et le facteur 2, qui reflète la propension antisociale, l’instabilité et la déviance sociale de l’individu. Les composantes interpersonnelles et affectives sont au cœur de la psychopathie, alors que les caractéristiques antisociales sont partagées avec d’autres troubles.

Selon le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-V), les traits psychopathiques constituent l’une des facettes aggravantes du trouble de la personnalité antisociale (ASPD). Dans la Classification internationale des maladies (CIM-10), les troubles de la personnalité liés à la psychopathie sont englobés dans le trouble de la personnalité dyssociale et le trouble de la personnalité émotionnellement labile de type impulsif.

Cependant, pour de nombreux cliniciens et chercheurs, la psychopathie se distingue des troubles des conduites ou du trouble de la personnalité antisociale tels que définis par le DSM-V et leurs équivalents dans la CIM-10. Le diagnostic psychiatrique se concentre en effet sur le comportement antisocial plutôt que sur les causes sous-jacentes. En conséquence, la physiopathologie des individus répondant aux critères du trouble de la personnalité antisociale est plus hétérogène que celle des individus répondant aux critères de la psychopathie.

De façon générale, les traits psychopathiques incluent une capacité limitée à ressentir la peur et l’anxiété, une insensibilité aux autres, une absence d’empathie, une irresponsabilité, un manque de remords et de culpabilité, ainsi qu’une propension à nuire aux autres, à les exploiter, les manipuler et à adopter un comportement prédateur. Les psychopathes sont généralement égocentriques, impulsifs, impitoyables et incapables de maintenir des relations affectives stables. En outre, ce profil comportemental est extrêmement stable et persiste tout au long de la vie. Il apparaît dès l’enfance, bien avant l’âge de 10 ans, sous la forme sévère de troubles des conduites marqués par la froideur émotionnelle, l’absence de remords et d’empathie, et l’indifférence à la punition. Ce trouble touche plus fréquemment les garçons que les filles.

La psychopathie est considérée comme un continuum plutôt qu’une catégorie distincte. En effet, les traits psychopathiques sont distribués de façon continue dans la population générale. Certains de ces traits sont même adaptatifs dans les domaines des affaires, de la politique, du milieu militaire ou du divertissement, où il faut parfois savoir prendre des risques tout en restant sûr de soi, se montrer impitoyable, se focaliser sur son objectif et prendre des décisions audacieuses. Le manque de réaction à la peur, l’absence de culpabilité, le sang-froid et l’immunité contre le stress et la dépression aident un psychopathe à rester calme lorsqu’il est confronté à des situations effrayantes.

Aux États-Unis et au Canada, dans le domaine médico-légal, la psychopathie est définie comme un ensemble de traits de personnalité mesurés par les deux facteurs principaux de la PCL-R (l’outil développé par Hare pour diagnostiquer la psychopathie à des fins cliniques, juridiques ou de recherche) :

  1. Facteur interpersonnel : il comprend le manque de culpabilité, de remords et d’empathie, le faible attachement affectif aux autres (y compris envers ses propres enfants), la dureté et la désinvolture, la propension à manipuler autrui et un charme superficiel. Ce facteur est corrélé au trouble de la personnalité narcissique, dans lequel un individu éprouve un besoin excessif d’être admiré et fait preuve d’un manque d’empathie.
  2. Facteur de déviance sociale : il correspond à un mode de vie parasitaire, instable et prédateur dès le plus jeune âge, à un besoin constant de stimulation et à une forte impulsivité. Ce facteur est corrélé au trouble de la personnalité antisociale, caractérisé par une indifférence générale vis-à-vis des normes sociales et des droits d’autrui, ainsi que par un comportement impulsif.

Il faut noter que la PCL-R est un outil largement critiqué, car il accorde trop d’importance aux comportements antisociaux et propose une vision quelque peu réductionniste de la psychopathie. La structure factorielle de la PCL-R fait l’objet d’intenses débats : certains chercheurs proposent une version affinée de la psychopathie, composée de 13 critères regroupés en trois facteurs (interpersonnel, affectif et impulsif), tandis que d’autres maintiennent les 20 critères originaux répartis en quatre facettes (interpersonnelle, affective, impulsive et comportements antisociaux).

La différence entre ces modèles repose principalement sur l’importance accordée aux critères mesurant le comportement antisocial. Certains auteurs considèrent en effet que les comportements antisociaux sont secondaires et qu’ils découlent des symptômes primaires décrivant la personnalité du psychopathe. Dans les faits, la plupart des psychopathes ne sont pas violents et la plupart des personnes violentes ne sont pas psychopathes.

D’autres psychologues cliniciens suggèrent de distinguer la psychopathie primaire de la psychopathie secondaire. Les psychopathes primaires se caractérisent par une très faible propension à ressentir de l’anxiété et une froideur émotionnelle. Ils ont tendance à commettre des crimes de nature instrumentale et affichent une attitude narcissique, cynique et égoïste, en utilisant sans scrupule le mensonge et le charme superficiel pour parvenir à leurs fins.

À l’inverse, les psychopathes secondaires sont plus anxieux. Ils manifestent davantage de volatilité émotionnelle et commettent des délits et crimes plus impulsifs et réactifs. Les symptômes observés sont globalement les mêmes dans les deux cas, les groupes ne différant essentiellement que par l’absence ou la présence d’anxiété.

Les différents modèles étiologiques de la psychopathie

Il existe une douzaine de théories qui tentent d’expliquer les causes et l’origine de la psychopathie. Parmi les principales, l’une fait de l’absence de peur et d’anxiété le moteur du comportement insensible et des conduites antisociales des psychopathes. Une autre présente la psychopathie comme un syndrome comprenant trois composantes : la désinhibition, l’audace et la méchanceté. Une troisième met l’accent sur un déficit attentionnel qui compromet le traitement des informations périphériques, en particulier les expressions émotionnelles de peur et de détresse. Enfin, une dernière théorie considère la psychopathie comme résultant d’une lésion neurologique affectant le système para-limbique.

La majorité des auteurs, quelle que soit leur position théorique, considèrent que les symptômes psychopathologiques caractérisant la psychopathie expriment des tendances biocomportementales fondamentales, façonnées par des processus développementaux en partie génétiquement déterminés et en interaction avec des expériences de vie. Ces tendances se manifestent dans des contextes psychologiquement saillants et pertinents pour ces traits.

À l’heure actuelle, les données neurologiques ne soutiennent de manière exclusive aucune de ces théories. De plus, de nombreux aspects de ces modèles se recoupent. Par exemple, le psychologue Quay décrivait la psychopathie comme la manifestation d’une recherche excessive de sensations. Cette théorie comprend deux volets : (a) une anomalie de la réaction physiologique aux stimuli sensoriels, nécessitant un niveau de stimulation plus élevé que la normale pour éprouver de la satisfaction, et (b) en raison de cet état de sous-stimulation, un degré de motivation extrêmement élevé est requis pour compenser ce manque. Ce modèle fait écho à la découverte de dysfonctionnements du striatum chez les psychopathes.

Les anomalies anatomiques et fonctionnelles associées aux traits psychopathiques sont nombreuses et largement réparties dans le cerveau. Les différences neuroanatomiques et neurophysiologiques entre psychopathes et sujets contrôles sont subtiles plutôt que massives. Elles reposent encore très souvent sur de petites cohortes (moins de 20 sujets), ce qui limite la puissance statistique de nombreuses études. En outre, peu d’études intègrent des variables de contrôle comme le quotient intellectuel ou les comorbidités (troubles psychotiques, consommation de drogues, antécédents de traumatismes cérébraux). Depuis une dizaine d’années, des progrès ont été accomplis grâce à des études incluant des groupes plus larges et contrôlant mieux ces facteurs de confusion.

Anomalies neuro-anatomiques

Les études de neuroimagerie structurelle associent la psychopathie à une multitude d’anomalies neuromorphologiques. Étant donné l’importance de l’amygdale dans la détection des signaux de menace et des stimuli émotionnels saillants, ainsi que dans le conditionnement aversif, cette structure a fait l’objet de nombreux travaux montrant des effets tant d’élargissement que de réduction de son volume, associés au facteur 1 de la PCL-R. Dans l’ensemble, ces études rapportent une diminution d’environ 20 % de la matière grise dans le noyau basolatéral de l’amygdale, structure essentiellement composée de neurones excitateurs (avec une minorité d’interneurones inhibiteurs) interconnectés avec le cortex orbitofrontal. Ces travaux rapportent également une augmentation du volume du noyau central de l’amygdale. Le noyau basolatéral joue un rôle dans la cognition des émotions et dans l’apprentissage émotionnel. Toutefois, ces études souffrent souvent de la faible taille de leurs échantillons.

Une étude volumétrique réalisée auprès de 296 prisonniers montre que le niveau de psychopathie est corrélé à une diminution de la matière grise dans de nombreuses régions cérébrales, incluant le cortex orbitofrontal, le cortex cingulaire postérieur, le gyrus parahippocampique et l’amygdale. En revanche, contrairement à deux recherches menées sur de petits échantillons, aucune différence de volume n’a été observée pour l’insula et le cortex cingulaire antérieur.

Le striatum, une structure sous-corticale jouant un rôle clé dans l’anticipation des récompenses et la prise de décision, semble hypertrophié chez les psychopathes incarcérés, d’après une étude menée sur 124 sujets masculins. Dans cette étude, une analyse volumétrique a été effectuée dans les différents noyaux du striatum, et la connectivité fonctionnelle au repos a été mesurée dans les zones où le volume était lié à la sévérité des traits de psychopathie. Il en ressort que le score total à la PCL-R et le score du facteur 2 (qui recouvre les traits impulsifs, antisociaux et le besoin de stimulation) sont associés à des volumes plus importants dans le noyau accumbens et le putamen. De plus, la sévérité de la psychopathie est liée à une connectivité fonctionnelle anormale entre ces noyaux du striatum et le cortex préfrontal dorsolatéral, ainsi que le mésencéphale ventral.

Plusieurs études utilisant l’IRM de diffusion ont mis en évidence une altération anatomique du faisceau unciné reliant le lobe temporal antérieur et l’amygdale au cortex préfrontal ventromédian. Cette altération semble spécifique à l’hémisphère droit et proportionnelle à la sévérité des scores au facteur 1 de la PCL-R. L’intégrité de ce circuit est à la base de nombreuses fonctions sociales, cognitives et affectives qui sont déficitaires dans la psychopathie : le jugement moral, l’empathie, la maîtrise de l’agressivité, la représentation des valeurs et l’apprentissage par renforcement. Le cortex préfrontal ventromédian joue un rôle essentiel dans le processus de prise de décision basé sur les récompenses et la valeur subjective des stimuli, via ses interactions fonctionnelles avec le striatum ventral et l’amygdale. Les neurones de cette région reçoivent donc des informations motivationnelles et émotionnelles et calculent la signification comportementale des événements externes. Ces informations sont utilisées pour la prise de décision, en particulier dans la cognition morale et le souci d’autrui. Enfin, une diminution de la connectivité fonctionnelle entre l’insula et le cortex cingulaire antérieur a également été observée dans un échantillon de 985 prisonniers.

L’ensemble des résultats neuroanatomiques suggère que les anomalies structurelles associées à la psychopathie reflètent des dysfonctions largement distribuées plutôt que des lésions focales, à l’exception de certaines régions de l’amygdale, du cortex orbitofrontal et du faisceau unciné. Ces variations structurelles dans diverses zones cérébrales pourraient expliquer une grande part de la variabilité des scores individuels de psychopathie. Enfin, ces différences demeurent subtiles et ne sont détectables qu’à partir de larges échantillons de sujets. L’ampleur des effets observés dans les études liant la psychopathie à des mesures cérébrales est en général faible à modérée.

Anomalies fonctionnelles

Les déficits émotionnels chez les individus psychopathes sont documentés de longue date dans la littérature, notamment en ce qui concerne la reconnaissance des expressions de peur et de tristesse. Cependant, une méta-analyse de 26 études portant sur plus de 1 200 participants indique que ce déficit concerne l’ensemble des émotions, et pas uniquement la peur, indépendamment de la modalité sensorielle (visuelle ou auditive) utilisée pour les étudier.

Les résultats des études d’IRM fonctionnelle ne sont pas conclusifs. Certains travaux rapportent une diminution de l’activité hémodynamique dans le réseau de régions impliquées dans le traitement des visages. À l’inverse, une autre étude montre une augmentation de la réponse hémodynamique chez les psychopathes dans ce même réseau de traitement des visages, ainsi qu’une activité sélective du cortex préfrontal médian proportionnelle aux scores du facteur 1 de la PCL-R. Par ailleurs, une étude portant sur 80 prisonniers a présenté des clips vidéo de visages exprimant la joie, la tristesse, la peur et la douleur. Ces quatre expressions provoquent une activation plus importante chez les non-psychopathes que chez les psychopathes dans le réseau cérébral de traitement des visages (y compris le gyrus fusiforme, le gyrus frontal inférieur, le cortex orbitofrontal et le cortex préfrontal ventromédian). En revanche, aucune différence entre les deux groupes n’est observée dans l’amygdale et l’insula.

Il est probable que les divergences entre ces études s’expliquent en partie par des différences de protocole, notamment la distinction entre un traitement émotionnel implicite et explicite. Selon la théorie de la modulation attentionnelle de Newman, le traitement cognitif du contenu émotionnel est moins altéré chez les psychopathes lorsque les signaux émotionnels sont au centre de leur attention. Cette hypothèse est confirmée par une étude qui a examiné les interactions entre attention et émotion chez 120 psychopathes incarcérés. Dans cette étude, au cours d’une tâche émotionnelle explicite, les traits psychopathiques sont associés à une augmentation de l’activité dans le cortex préfrontal médian, l’insula et les régions frontales supérieures. En isolant l’impact de l’attention explicite sur le traitement émotionnel, on constate que seul le facteur 1 de la PCL-R prédit une augmentation de l’activité dans les aires visuelles, accompagnée d’une activité accrue dans le gyrus angulaire. Ces effets mettent en évidence des mécanismes sous-jacents aux caractéristiques atypiques de l’attention et du traitement des émotions observées chez les psychopathes.

Le niveau de psychopathie n’influence pas nécessairement les performances lors de tâches de décision morale. En effet, les psychopathes semblent capables de distinguer ce qui est moral de ce qui est immoral. Par exemple, la psychopathie est associée à une hyperactivité du cortex préfrontal dorsolatéral et à une diminution de l’activité de l’amygdale lors de prises de décisions morales chargées émotionnellement, bien qu’aucune différence ne soit observée dans les réponses comportementales aux dilemmes moraux. De même, lorsque des détenus présentant des niveaux de psychopathie variés évaluent la gravité de violations morales illustrées par des photographies, aucune différence n’est détectée dans leur raisonnement moral explicite. En revanche, les psychopathes présentent, comparés aux non-psychopathes, une activité réduite dans le cortex préfrontal ventromédian, le cortex temporal antérieur et l’amygdale.

Une étude a examiné l’influence des exigences attentionnelles sur l’évaluation morale implicite et explicite chez 88 criminels incarcérés. Dans la condition implicite, les prisonniers avec des scores élevés de psychopathie présentent une activité réduite dans le cortex préfrontal dorsolatéral et le striatum dorsal lorsqu’ils regardent des vidéos où une personne blesse intentionnellement autrui. On observe également une diminution de la connectivité fonctionnelle entre l’amygdale droite et la jonction temporo-pariétale droite, d’une part, et le cortex cingulaire antérieur, l’insula et le cortex préfrontal ventromédian d’autre part. Dans la condition explicite, les traits psychopathiques prédisent une réduction de l’activité au sein du cortex cingulaire antérieur et de l’amygdale, accompagnée d’un couplage fonctionnel réduit entre le cortex temporal antérieur, l’insula et le striatum. Ce profil atypique de connectivité fonctionnelle diffère complètement de celui observé chez des sujets non psychopathes exposés aux mêmes stimuli. Enfin, à l’instar des études précédentes, le niveau de psychopathie n’influence pas la performance comportementale dans les deux conditions (implicite et explicite), malgré les différences d’activité neuronale et de connectivité observées entre les régions cérébrales.

Dans l’ensemble, la plupart des études sur la cognition morale suggèrent que les psychopathes sont capables de formuler des jugements moraux relativement similaires à ceux des individus non psychopathes, malgré des réponses neuronales différentes impliquant notamment l’amygdale, le cortex préfrontal ventromédian et le cortex préfrontal dorsolatéral. Cela soutient l’idée qu’en l’absence de contribution des régions cérébrales impliquées dans l’aversion au mal, les psychopathes peuvent mettre en œuvre des stratégies cognitives et attentionnelles alternatives lors de leurs évaluations sociomorales. L’anomalie dans l’intégration des réponses émotionnelles à la décision, principalement pour les situations aversives, et le rôle de l’attention soutiennent à la fois le modèle de Lykken et celui de Newman. Ces déficits d’attention sélective sont liés au facteur 1 de la PCL-R. Par ailleurs, certaines anomalies fonctionnelles semblent dépendre du contexte et être modulées par l’attention, ce qui explique que, selon les études, une même région cérébrale puisse apparaître tantôt hypoactive, tantôt hyperactive. Il apparaît clairement que les régions impliquées dans le contrôle de l’attention (comme le cortex préfrontal dorsolatéral, le cortex préfrontal dorsomédian et le cortex pariétal supérieur) influencent la réponse de l’amygdale aux stimuli émotionnels. Ainsi, la réduction de la réactivité émotionnelle observée chez les personnes ayant des traits psychopathiques élevés pourrait être un phénomène secondaire, conséquence d’un contrôle attentionnel descendant s’exerçant sur les caractéristiques non émotionnelles du stimulus.

Par ailleurs, les anomalies relevées dans le striatum ventral et dorsal sont désormais considérées comme jouant un rôle clé dans l’étiologie des traits psychopathiques. Le cerveau des psychopathes semble câblé de manière à les amener à surestimer les récompenses immédiates et à négliger les conséquences futures d’actions potentiellement dangereuses ou immorales. Dans une étude, 49 détenus ont participé à un test de gratification différée dans lequel ils devaient choisir entre deux options : recevoir immédiatement une somme d’argent moindre, ou recevoir plus tard une somme plus importante. Les prisonniers avec un score de psychopathie élevé présentent une activité plus forte dans le striatum ventral — connu pour coder la valeur des récompenses — lorsqu’il s’agit d’obtenir une gratification immédiate. Cela suggère que l’évaluation de la valeur des récompenses est déréglée et surreprésente les gains immédiats. Cette étude a également cartographié les connexions anatomiques entre le striatum ventral et différentes régions du cortex préfrontal impliquées dans la prise de décision. La connexion entre le striatum ventral et le cortex préfrontal ventromédian s’est avérée beaucoup plus faible chez les psychopathes.

Le manque d’empathie

Le manque d’empathie est un trait central de la psychopathie. Les psychopathes considèrent les autres personnes comme des objets à manipuler et ne s’intéressent pas à leurs sentiments, à leurs droits ou à leur bien-être. L’empathie émotionnelle reflète la capacité à partager l’état affectif d’autrui en termes de valence (positive ou négative) et d’intensité. Ce composant de l’empathie joue un rôle fondamental dans l’aversion à faire du mal, notamment lorsque l’on perçoit autrui en détresse émotionnelle ou en souffrance. De très nombreuses études de neuroimagerie ont mis en évidence, chez les sujets sains, l’activation du cortex cingulaire et de l’insula lors de l’empathie envers la douleur d’autrui.

Chez des sujets incarcérés, les réponses hémodynamiques induites par des vidéos montrant des expressions de détresse émotionnelle et des situations où une personne blesse volontairement autrui indiquent que les participants présentant des traits élevés de psychopathie ont une activation plus forte de l’insula, réponse positivement corrélée à leurs scores à la PCL-R. L’implication accrue de l’insula chez les psychopathes est surprenante compte tenu du rôle bien établi de cette région dans l’empathie. Cependant, ce résultat s’explique par la théorie attentionnelle : l’attention particulière que les psychopathes portent à certains aspects des stimuli pourrait moduler leur réponse. Par ailleurs, les psychopathes présentent une activation significativement moindre du cortex préfrontal ventromédian, du cortex orbitofrontal latéral et de la substance grise périaqueducale comparativement aux sujets témoins.

Une autre étude a mesuré les réponses cérébrales de 120 prisonniers confrontés à des situations de douleur. Selon les instructions, ces détenus devaient adopter soit une perspective égocentrée, soit se mettre à la place d’une autre personne en imaginant la souffrance de celle-ci. Cette approche permet d’examiner les mécanismes de la prise de perspective affective, l’un des composants de l’empathie (également appelée empathie cognitive). Dans la perspective égocentrée, les participants avec des traits psychopathiques élevés montrent une réponse typique au sein du réseau cérébral de l’empathie pour la douleur (incluant l’insula, l’amygdale et le cortex cingulaire antérieur). Inversement, lorsqu’ils imaginent autrui souffrir, les psychopathes présentent un profil d’activation et de connectivité fonctionnelle atypique. La réponse dans l’amygdale et l’insula est inversement corrélée au score du facteur 1 de la PCL-R, et elle prédit positivement l’activité dans le striatum ventral. Cette région, impliquée dans l’anticipation des récompenses, s’est révélée excessivement réactive chez des adolescents présentant un trouble des conduites, ainsi que chez des criminels sadiques sexuels. Chez les prisonniers ayant un haut niveau de psychopathie, l’analyse de la connectivité fonctionnelle indique une hypoconnectivité entre l’amygdale et le cortex préfrontal ventromédian lorsqu’ils imaginent autrui souffrir.

Au sein des populations médico-légales, ces deux études suggèrent qu’un niveau élevé de psychopathie correspond à une activité réduite du cortex préfrontal ventromédian lorsque les sujets sont exposés à des situations de détresse ou de souffrance. Le cortex préfrontal ventromédian joue un rôle important dans l’assignation de valeurs subjectives et la prise de décisions. Cette région est réciproquement connectée aux noyaux du tronc cérébral, à l’aire tegmentale ventrale (impliquée dans le circuit de la récompense), à l’hypothalamus, au striatum et à l’amygdale, ce qui permet de moduler les réponses affectives lors de la prise de décision, y compris dans le jugement moral. Les observations en neurologie montrent que la lésion de cette région altère les évaluations sociales et morales, et qu’une atteinte précoce (avant l’âge de 5 ans) compromet gravement le développement moral de l’enfant.

Les apports de l’imagerie cérébrale

L’ensemble des études en neurosciences médico-légales indique que les traits psychopathiques sont étroitement associés à des anomalies structurelles et fonctionnelles réparties dans de nombreuses structures corticales et sous-corticales (amygdale, insula, cortex cingulaire antérieur et postérieur, striatum dorsal et ventral, cortex orbitofrontal, cortex temporal supérieur postérieur), ainsi qu’à une connectivité anatomique atypique entre le pôle temporal et le cortex préfrontal ventromédian. Ces anomalies de la matière grise et de la substance blanche sont assez hétérogènes. Il semble aujourd’hui peu probable que les dysfonctionnements liés à la psychopathie se limitent à l’amygdale et au cortex orbitofrontal. Cette variabilité suggère que de multiples voies neurodéveloppementales peuvent conduire à des phénotypes comportementaux d’apparence similaire. Une limitation des modèles actuels de la psychopathie tient au fait qu’ils s’appuient principalement sur des traits de personnalité et des profils comportementaux assez mal définis pour permettre d’opérationnaliser clairement un construit dont on cherche à décrire l’origine neurobiologique spécifique. Par ailleurs, les dysfonctions neurobiologiques observées sont hétérogènes : elles peuvent survenir de manière indépendante et se manifester par des symptômes compatibles avec les traits psychopathiques.

Dans l’état actuel des connaissances, il est prématuré d’interpréter les résultats des neurosciences cliniques comme soutenant un modèle étiologique particulier. Dans l’éventail très large de données disponibles, on peut en effet trouver des éléments en faveur de théories mettant en avant des déficits dans les circuits du traitement des émotions, des difficultés d’apprentissage et de conditionnement (par exemple, l’échec à renoncer à une récompense même lorsque celle-ci est associée à une conséquence négative), de l’évitement de stimuli aversifs, ou encore des déficits neurocognitifs impliquant un dysfonctionnement des processus attentionnels.

Malgré ces réserves, les recherches actuelles suggèrent fortement que les caractéristiques de la psychopathie sont de nature développementale, avec des traits apparaissant bien avant l’âge de 10 ans. Ces traits incluent l’insensibilité à autrui, l’affect superficiel, le manque d’empathie, l’irresponsabilité, l’absence de remords et de culpabilité, et la violation persistante des normes sociales. Ces traits sont influencés par des facteurs de risque génétiques en interaction avec des conditions environnementales adverses au cours du développement. Les déficits neurocognitifs caractérisés par un dysfonctionnement du traitement émotionnel sont corrélés à des réponses neurofonctionnelles atypiques face à la souffrance d’autrui, observables dès l’âge de 8 ans. Des études longitudinales seront nécessaires pour déterminer comment certaines vulnérabilités génétiques et sociales se traduisent par des anomalies neuroanatomiques et neurofonctionnelles. Plusieurs travaux rapportent d’ores et déjà une réduction du volume de matière grise de l’amygdale et de l’insula chez des adolescents souffrant de troubles des conduites. De plus, des études portant sur les traits antisociaux chez l’enfant et l’adolescent ont signalé des altérations du faisceau unciné.

Conclusion

L’étiologie de la psychopathie est encore mal comprise et s’intègre difficilement dans les cadres classiques de la santé mentale. En effet, les psychopathes ne sont ni désorientés ni déconnectés de la réalité. Contrairement aux individus psychotiques, ils sont rationnels, lucides et conscients de leurs actes et des raisons qui les motivent. En milieu carcéral, une différence majeure entre les psychopathes et les autres détenus est que les premiers ne sont pas perturbés par le fait d’être en prison. Rien ne semble réellement les déranger.

Les travaux de neurosciences cliniques permettent de mieux comprendre les déficits qui caractérisent ce trouble de la personnalité. Une sensibilité réduite aux stimuli émotionnels et une faible aversion aux signaux de menace expliquent en partie l’absence de motivation intrinsèque pour le bien-être d’autrui et le manque d’empathie observés chez les psychopathes. Ceux-ci présentent également un déficit dans la régulation de la prise de décision, probablement causé par une connectivité atypique entre le striatum et le cortex préfrontal ventromédian.

Les neurones du cortex préfrontal ventromédian codent la valeur affective des renforcements négatifs (pertes) et positifs (gains) nécessaire à la prise de décision. Cette région joue aussi un rôle clé dans la motivation des comportements prosociaux et dans le raisonnement moral.

Il est donc possible que les déficits émotionnels et motivationnels ne soient pas les seuls facteurs responsables des mauvais choix que font les psychopathes. Lorsqu’ils prennent des décisions, leurs circuits neuronaux n’opèrent pas les mêmes arbitrages entre coûts, bénéfices et valeurs subjectives. Ainsi, la psychopathie peut difficilement être considérée comme un syndrome unitaire, ce que confirme sa structure multidimensionnelle.

Les progrès dans la compréhension de ce trouble reposent sur l’intégration de multiples niveaux d’analyse, afin d’étudier :

  • son profil comportemental (description clinique),
  • les déficiences fonctionnelles associées à ce profil (psychologie cognitive et clinique),
  • les systèmes neurophysiologiques qui sous-tendent ces fonctions (neurosciences),
  • les facteurs moléculaires qui influencent ces systèmes neuronaux (biologie moléculaire),
  • les bases génétiques de ces facteurs.

La détermination d’une relation de causalité réciproque entre la biologie, les comportements et les traits de personnalité est difficile à établir en l’absence d’études longitudinales débutant dès la petite enfance. Les recherches émergentes sur les modèles de connectivité neuronale et les analyses génétiques sont prometteuses à cet égard.

Enfin, étant donné l’ampleur modérée des différences observées entre sujets témoins et sujets psychopathes, les études de neuroimagerie devront inclure des échantillons plus larges et contrôler le quotient intellectuel ainsi que les facteurs de comorbidité neurologique et psychiatrique.

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